Perdre un être cher ici, perdre un être cher au pays, l’impact de la distance sur le processus de deuil

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deuil

La mort est un phénomène universel, qui est géré de manière différente en fonction des sociétés, des cultures et des époques. Perdre un être cher n’est pourtant jamais facile à vivre, d’autant plus si nous sommes absents, ou très loin.

Le deuil en tant que perte, a des répercussions à différents niveaux. Répercussions économiques, sociales, identitaires. Du jour au lendemain, on devient veuf, veuve, orphelin, ou alors  financièrement dépendant, pauvre, ou dépouillé de toute source de revenus.

La perte engendrée bouleverse ce qui était et impose le changement, l’adaptation. Et dans cette optique, toute personne qui résiste est forcément appelée à souffrir.

Chaque culture ayant sa propre conception de la vie et de la mort. Les rituels funéraires sont multiples et variés. Ils permettent aux vivants de rendre hommage à leurs morts et d’effectuer leur propre travail de deuil.

L’identité de la personne décédée ainsi que les relations qu’on entretenait avec elle déterminent en majeure partie l’ampleur de la douleur qu’on pourra être amené à éprouver.

Malgré tout, le deuil reste un processus. Et en tant que tel, il a un début et une fin.

Faire son deuil, c’est quoi ?

Faire son deuil c’est accepter la perte qu’on a subi et lui donner un sens constructif. C’est vivre sans douleur l’absence d’un être cher. C’est arrêter de culpabiliser et de vouloir changer le passé.

Quand on a réussi à faire son deuil, on est triste mais on ne souffre plus.

Le meilleur moyen de le vérifier est d’analyser ses émotions et réactions quand on parle de la personne décédée. Si on se met en colère (c’est injuste! pourquoi?), si on fond instantanément en larmes, ou si on a toujours aussi mal, alors le deuil n’est pas encore fait.

Pourquoi les rituels de deuil sont importants ?

De l’annonce de la mort à l’enterrement, il existe différents rituels. Je citerai schématiquement les grandes lignes qu’on peut retrouver dans certaines régions d’Afrique.

1- L’annonce

Dans les cultures traditionnelles, ce n’est pas n’importe qui qui annonce un deuil. La forme et le fond sont d’une extrême importance car elles influencent grandement l’émotion première de la personne endeuillée.

Dans ma tribu par exemple, l’annonce est souvent organisée de manière subtile. On met un point d’honneur à préparer la personne endeuillée. La famille est présente et si possible, certains amis. On désigne également quelques personnes pour tenir physiquement  chaque membre de la famille directement touchée par le deuil.

Cette préparation a pour objectif de canaliser la réaction émotionnelle et de fournir un support immédiat à la souffrance.

Le rôle de la famille à ce stade est de fournir un réceptacle pour encaisser le choc.

2- Les lamentations 

Les chants et les danses funéraires sont orchestrés par des membres de la famille ou par des pleureuses. La personne endeuillée est autorisée à pleurer et à manifester sa peine. La famille élargie, les amis et les voisins, viennent témoigner leur empathie et leur compassion.

Cette étape permet d’exprimer et de partager son émotion avec les proches et la communauté. On ne pleure pas seul. L’émotion se gère en groupe. Les paroles des autres aident à donner un sens à ce qui est vécu.

3- Les obsèques (veillée, enterrement)

L’exposition du corps est une étape importante lors des obsèques. Elle a pour principal objectif de confronter la personne endeuillée à la réalité. Puisqu’il est fréquent de basculer dans le déni à l’annonce d’un deuil. On se dit que ce n’est pas vrai, on espère que c’est faux.

Voir le corps oblige à reconnaître la réalité de ce qui est annoncé et vécu. C’est souvent le point de départ du véritable processus de deuil. La douleur peut s’intensifier et les réactions devenir violentes. On a la preuve que c’est vrai. Il ou elle est vraiment parti(e).

L’enterrement pour sa part marque la séparation définitive avec les survivants. Il faut dire au revoir, prononcer les dernières paroles d’adieu.

NB: En fonction de l’identité de la personne décédée, il peut se rajouter d’autres rituels comme le veuvage pour les veuves.

4- Les symboles du deuil 

Ces signes varient en fonction de la culture à laquelle on appartient. On peut retrouver le port du noir ou du bleu, ainsi que le crâne rasé.

Ils permettent de porter leur deuil en société.

5- La durée du deuil 

Elle varie en fonction des familles, des coutumes, et de la volonté des survivants. Elle peut être de 6 mois, d’une année ou plus.

C’est une période qui est définie pour vivre son deuil. Elle permet de s’adapter aux différents changements provoqués par la perte. La famille est là, comme soutien permanent.

6- La fin de deuil 

Elle est marquée dans certaines tribus par une cérémonie festive. On enlève le noir ou le bleu dans la joie. A cette étape, l’endeuillé est censé avoir fait le travail d’acceptation. La vie peut donc reprendre son cours.

Nous voyons donc qu’au pays, tout un ensemble de rituels est mis en place pour réguler la souffrance éprouvée suite à la perte d’un être cher.

Qu’en est-il quand nous sommes loin?

Perdre un être cher au pays ? ou ici à l’étranger ?

Quand nous sommes loin, nous ne bénéficions pas de la plupart des rituels, qui sont pourtant importants pour ne pas vivre un deuil de manière traumatique.

Beaucoup d’immigrés ne voient pas le corps de leurs proches, faute de moyens financiers pour aller au pays. Et même dans le cas où la personne décède en terre d’immigration, les problèmes se posent différemment. La famille n’est pas là pour prendre en charge l’annonce ou les lamentations.

Dans certains cas, la manière dont on annonce le décès est plus traumatisante que le décès en lui même.

Il n’y a aucune préparation. Le choc est brut.

Beaucoup de choses sont banalisées par manque de connaissance ou par négligence. Les impératifs de la vie à l’étranger étant prioritaires, on ne peut pas toujours se permettre de se laisser aller. Il faut travailler, étudier ou lutter pour sa survie.

On vit son deuil seul, enfermé dans sa chambre, son appartement ou sa maison. La douleur est emprisonnée car il n’y a personne pour nous aider à la canaliser. Les rares personnes qui sont présentes ne savent pas toujours comment gérer ce type d’événement. Des veillées peuvent être organisées, mais là aussi, on assiste à des récupérations festives. Elles ne sont pas toujours à l’image du même rituel organisé au pays.

Quand tant bien que mal, on réussit quand même à s’acheter un billet pour le pays, on a quand même commencé son processus tout seul. Et on le terminera probablement tout seul aussi, puisqu’il va falloir revenir juste après l’enterrement.

Tout va vite, on n’a plus le temps de pleurer convenablement ses morts ou de faire correctement son deuil.

Perdre un être cher quand on vit à l’étranger est une véritable épreuve. Mal gérées, ces situations  peuvent conduire à des dépressions chroniques, à des deuils compliqués ou congelés,  ou encore à des peines insurmontables.

Dans toutes les sociétés, les rituels sont fondamentaux pour faire son deuil et pouvoir passer à autre chose.

Noire & Psy

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